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Paru au supplément Immobilier du journal El Watan d’Alger du 15 Fév.2009 sous le titre : «Projet d’interdire l’usage du Toub : Choix politique dangereux», cette participation de Bachir Agguerabi se veut une alerte écologique citoyenne pour une grave menace d’un patrimoine architectural naturel très important en Algérie. |
- Préjugés -
A la base d’une pyramide millénaire bâtie en terre crue près du Caire par le Roi Asydis se trouve encore cette inscription : "Ne me méprise pas en me comparant aux pyramides de pierre : Je suis autant au-dessus d’elles que Jupiter est au-dessus des autres dieux, car j’ai été bâtie en briques faites avec le limon du fond du lac". |
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Ainsi comme cela, il suffit d’une pluie contre laquelle on n’a rien prévu pour s’en protéger, pour s’en prendre à sa mère nourricière qu’est la terre, ou par extension à ceux qui l’habitent. On entend par-ci par-là des responsables pas très inspirés, menacer d’interdire toute construction en terre ?! Même si cela fait partie d’une pratique d’effet d’annonce à usage dévié ou intéressé, il n’en demeure pas moins que cela confirme un usage bien trop en vogue, pour qu’il soit anodin ou passé sous silence.
Profiter d’aussi graves péripéties atmosphériques pour alerter les habitants sur les meilleures conditions de protection contre les aléas climatiques - en améliorant leurs méthodes de construction, tout en les renforçant par des connaissances modernes des matériaux locaux comme le Toub - est certainement ce qu’un bon responsable ferait. Voilà qui viendrait encourager les efforts louables des nombreux praticiens du secteur en Algérie. (Cf. études, expériences, et investissements des plus couteux des organismes publics, bureaux d’études, professionnels ou simples usagers engagés dans ce sens depuis les années 70). Mais certainement-pas menacer d’interdiction un matériau aussi majeur et précieux que le Toub. C’est pourtant le titre surréaliste du supplément immobilier du journal El Watan du 1er Fév. 2009 : «APRES LES EFFONDREMENTS LE TOUB BIENTOT INTERDIT» (sic…).L’article s’ouvre comme suit :«Un projet de loi interdisant l’utilisation des briques de terre ou Toub sera prochainement élaboré par le gouvernement… a indiqué Noreddine Moussa Ministre de l’Habitat et de l’urbanisme …à l’issue de sa visite dans la daïra d’Aoulef – Adrar » ! (re-sic…) A notre connaissance sans démenti depuis !
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Les constructions en ciment, béton ou autres matériaux exogènes à nos espaces notamment au Sud et surtout au grand Sud constituent déjà des agressions graves et caractéristiques contre l’économie, l’harmonie et l’écologie du pays et défient le minimum du bon sens. Mais de là à généraliser et à imposer tous ces actes des plus négatifs par une loi…! Comment doit-on interpréter ces décisions ?
Malheureusement, nous ne sommes pas aujourd’hui à l’abri de décisions des plus saugrenues qui obéissent à des fins inavouables et inavouées, entrant dans un cadre d’intérêts parasitaires qui n’aboutissent qu’à des destructions de l’environnement par ceux-là mêmes chargés de le protéger. L’on se demande comment peut-on qualifier ce type d’acte s’il venait à se confirmer ?
Alors que ces mêmes responsables encouragent un laisser-faire des constructions contre-nature dans des zones inondables, ou abandonnent à leur sort des habitations traditionnelles qui n’auraient eu besoin que d’une rénovation ou d’une simple restauration ponctuelle pour retrouver un confort que leur envierait toute autre construction nouvelle, ils préfèrent voir ces populations concernées venir grossir la périphérie des villes pour servir de masses à exploiter économiquement ou électoralement.Alors qu’il suffit d’un simple encouragement politique qui ne coute rien ou encore mieux une réalisation concrète – d’une route, une école, ou encore un branchement de gaz ou d’électricité - pour donner un éclat particulier et épanoui à un habitat moribond, au lieu de devoir faire semblant de lutter contre des habitats précaires dans des bidonvilles indignes de la richesse humaine, intellectuelle et matérielle du pays. Mais revenons à notre terre.
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Au commencement la Terre, et à la fin…la Terre
Qu’il s’agisse de terre crue ou de pierre naturelle, ces matériaux ont été et demeurent, à travers les traditions historiques et populaires, les principaux composants de construction utilisés durant 10 000 ans sur notre planète, depuis que les hommes bâtissent des villes. C’est ainsi que plus d’un tiers des habitants de notre planète vit aujourd’hui dans des habitats en terre. Dès l’antiquité, on fait un usage très abondant de ce matériau en Mésopotamie ou dans l’Egypte des Pharaons.
En Afrique, en Asie, en Europe, et aux Amériques, les civilisations, qu’elles soient égyptiennes, perses, grecques, berbères, romaines, musulmanes, ibériques, françaises, indiennes, toltèques, bouddhistes ou impériales de Chine - en antiquité au moyen- âge, ou encore aujourd’hui – ont bâti ou bâtissent encore en terre, en apportant chaque fois des améliorations à cet usage naturel.
Aujourd’hui au 21° siècle, des réalisations exemplaires en terre, souvent cossues et recherchées par les élites à très forte valeur ajoutée, dépassant largement l’échelle de prototype, se multiplient aux États-unis, notamment en Arizona, au Nevada et New Mexique. Même des pays du Tiers-Monde qui n’ont pas la richesse et la profondeur historique des milliers de Ksours algériens s’évertuent à sauvegarder- en ce moment même - la moindre trace de leurs très modestes constructions en terre. Les organismes spécialisés des Nations Unies encouragent moyennant finances ce type de programmes dans des pays en développement. Ces démarches s’appuient sur un renouveau de la tradition et font appel aux "racines", celles par exemple de l’habitat Pueblo du Mexique pour les États-unis, ou celles de la voûte nubienne réhabilitée après la deuxième Guerre mondiale par l’architecte égyptien Hassan Fathy dans son expérience de Gourna en Egypte. Voûte identique à celle d’El Oued, bien de chez nous, que nous - contrairement aux Egyptiens - n’avions jusque-là jamais perdu.
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On a recensé à travers le monde une vingtaine de méthodes traditionnelles de construction utilisant les ressources de la terre crue. L’Adobe (mot berbéro-arabe "Toub" assimilé en espagnol et transmis aux Amériques où il est adopté en anglais) qui désigne des briques de terre crue séchées au soleil (après leur mise en forme dans des moules). En plus de diverses variantes régionales, on distingue toutefois deux procédés principaux. D’une part le Toub qu’est la brique crue moulée, et d’autre part le "pisé" dérivé du mot français apparu à Lyon en 1562 d’origine latine qui désigne le principe de construction de murs épais (50 cm minimum) en damant la terre dans des coffrages latéraux, qu’on déplace au fur et à mesure de l’avancement du travail. Ce dernier procédé connu aussi en Algérie avant 1962 est encore employé à ce jour au Maroc.
Au Mexique, en Chine aux Usa, au Maroc, et partout de par le monde - hier comme aujourd’hui – y compris dans l’ancienne Allemagne de l’Est - 1946 à 1958 - ces chantiers ont été entrepris dans le cadre de diverses options politiques clairement définies : « Il ne faut compter que sur ses propres forces.»
Déjà entre 1970 et 1980 aux Etats-Unis, 160 000 maisons étaient chaque année construites par leurs habitants eux-mêmes, dans l’état du Nouveau-Mexique, la moitié de la production de briques de Toub étant assurée par les usagers qui, ensuite, construisent sans intermédiaires leur habitat en terre.
Pour remédier au fait que les constructions traditionnelles en terre craignent l’érosion des eaux, des parades souvent très efficaces ont été élaborées depuis bien longtemps. Le génie populaire anglais exprime ce bon sens traditionnel en une seule formule : "pour durer des siècles, il suffit aux maisons de terre d’avoir un bon chapeau et de bonne bottes". En clair : une toiture débordante pour protéger les murs des pluies et des fondations en pierre pour éviter les méfaits de l’érosion des murs par les eaux de ruissellement ou leur humidité par capillarité. Il y a 6 000 ans en Mésopotamie, on associait déjà l’usage des briques de terre crue à celui de produits hydrofuges bitumineux. C’est ce principe qu’on trouve encore en ce moment dans le Sud des Aurès.
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De la grandeur des bâtiments en terre
Le premier "gratte-ciel" de notre histoire a-t-il été construit en terre ? Les recherches archéologiques récentes permettent de croire que la célèbre "Tour de Babel" fut bien édifiée avec ce matériau au cœur de Babylone au VIIe siècle Av. J.C. Son septième niveau semble avoir culminé à quelque 90 mètres de hauteur ! En Mésopotamie, de nombreuses villes étaient de toute évidence ponctuées par de vastes "ziggourats" en gradins, couramment élevées jusqu’à une quarantaine ou une cinquantaine de mètres de haut. Ces savoir-faire historiques ont été relayées jusqu’à nos jours par des traditions populaires qui ont aussi fait usage de la terre crue pour édifier de très hauts bâtiments.
Les villages des Aurès par centaines sur les hauteurs d’Arris, Ghoufi, Baniane, Bouzina, Tabedga, Khanga, Oualja, Béni-Souik, El-Kantara et bien d’autres, ceux des vallées du Gourara de Timimoune à Adrar ou pré-sahariennes du Maroc s’élèvent encore sur plusieurs étages.
Mais, de toutes les villes du monde construites entièrement en terre, Shibām au Yémen du Sud, est la plus étonnante par sa virtuosité. On l’appelle parfois le " Manhattan du désert " car ses 500 immeubles donnent l’impression d’une forêt de gratte-ciels : ils sont élevés jusqu’à 30 mètres de hauteur sur 8 niveaux. Si cette tradition urbaine yéménite est très ancienne, par contre, plus de la moitié de ces immeubles ont été construits au XXe siècle, prouvant ainsi la vitalité de ce savoir-faire et ses possibilités d’adaptation à l’urbanisation contemporaine. |
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Réhabiliter l’auto-construction
Partout de par le monde, la maison de terre limite considérablement les échanges calorifiques, reste de ce fait fraîche en été et chaude en hiver, et permet, par son association à des énergies douces, solaires en particulier, de se rapprocher d’un bilan thermique équilibré.
Le modelage de la terre permet une réelle diversité de langage architectural et plastique, où s’expriment les pulsions créatives les plus profondes Contrairement au ciment artificiel, polluant et importé pour une bonne partie, la terre et la pierre sont des matériaux naturels disponibles en abondance en Algérie, puisque les argiles et les latérites propices à la construction constituent 74 % de l’écorce terrestre. En tant que tel, il n’implique souvent ni achat ou transport coûteux, ni gaspillage ou transformation à caractère industriel. L’usage de la terre ne fait appel ni à une économie dominée, ni à une économie dominante. Son usage garantit le maintien des équilibres écologiques, le respect de l’environnement et de la vie. La diversité des modes d’emplois de ce matériau permet de choisir entre le recours à une main-d’œuvre très abondante et peu spécialisée, à des systèmes familiaux ou à des pratiques plus élaborées. Ce choix reste ouvert pour assurer notamment l’autoconstruction ou le plein emploi dans les sociétés touchées par le chômage.
En plus de ces atouts en termes politiques et économiques, sociaux et écologiques, les matériaux "Terre" et "pierre" ont un intérêt culturel et architectural. |
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Des choix politiques hasardeux.
Les options politiques en amont peuvent osciller entre des actions timorées et des programmes ambitieux. Dans le contexte d’une stimulation gouvernementale, les situations peuvent se débloquer rapidement.
L’usage de la terre renforce l’autonomie de chacun au niveau du groupe ou de la nation. Car il permet d’exprimer une indépendance culturelle, économique et énergique.
Mais en Algérie, non seulement ces constructions en Toub modernisé sont restées à l’état de prototypes comme à Boussaâda depuis 1970. Mais voilà que l’on veut généraliser l’usage intensif du ciment !...
Les responsables algériens savent-ils que des techniques ancestrales majeures à base de matériaux traditionnels ont tout récemment complètement disparu du pays ? Comme l’usage de la chaux dans les enduits et les liants. Bien plus solides, efficaces et étanches face à la pérennité, contre les nuisances, des fissurations, des déperditions calorifiques, de l’humidité, des intempéries et du temps, que ne l’est le ciment. Même les usines de chaux très nombreuses il y’a 2 à 4 décennies ont totalement disparu du Nord du pays. Seule résiste encore une à Ghardaïa. Mais pour combien de temps ?
S’il y’a un endroit au monde ou la construction en terre devrait être obligatoire c’est bien dans nos régions du Sud. Car l’usage du ciment - rien que pour son coût exorbitant en transport - devrait être banni. Et pourtant on a vu surgir à partir des années Chadli 1980, tant à Béchar, Adrar, Ain-Amenas qu’à Tamanrasset, des constructions tout en béton et même en panneaux de béton préfabriqué provenant des procédés usités pour les lointaines banlieues de pays européens du Nord.
Dans la plupart des pays comme l’Algérie - particulièrement aux Aurès, au M’Zab et dans tous les Ksours du Sud - ces traditions sont encore vivaces car, à coût financier et social égal, la technologie moderne occidentale n’a fourni aucune alternative opérationnelle vraiment crédible à grande échelle pour résoudre le problème lancinant de l’habitat très économique. A cause du faux enrichissement par le pétrole en Algérie cette tradition millénaire tend subitement à
disparaître (comme ce fut le cas en Europe dès les années 30 ou 50) en faveur de la copie effrénée des stéréotypes architecturaux et des technologies massivement importées d’Occident qui, malgré leur notoire inadaptation climatique bénéficient de la faveur des usagers qui les utilisent comme autant de signes d’une promotion sociale.
Inversement, dans le Sud-ouest des états-Unis, certaines classes sociales aisées réactualisent depuis 1972 l’architecture de terre aussi bien à des fins communautaires que domestiques.
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Tandis qu’en Algérie le patrimoine et les savoir-faire traditionnels, sont laissés à l’abandon ou se meurent, dans d’autres pays, les architectures de terre sont désormais considérées comme des témoignages importants de génie universel : elles sont classées, restaurées, protégées et les universités, comme diverses institutions régionales ou internationales, tentent de re-créer un lien vivant et opérationnel entre les traditions et la modernité.
Miroirs aux alouettes et sous-culture
L’enjeu décisif du passage du "mal-développement" à un "écodéveloppement" a été ainsi raté en Algérie. Pourtant de modestes pays y ont mieux réussi. Par exemple la 1ère et la plus célèbre machine destinée à fabriquer des briques de terre stabilisée-la presse "Cinva-Ram"- a été inventée et brevetée en Colombie en 1957, puis commercialisée mondialement, notamment par une firme française qui avait acquis la licence partielle de fabrication.
La France, pays qui n’est pourtant pas réputé pour ses architectures en terre (il y en a pourtant), s’est payé le luxe tout récemment, de construire un institut international de recherches de très hautes technologies dédiés spécialement aux constructions en terre, dans la région de Lyon.
La diversité des architectures de terres et de pierres et de leurs modes possibles de construction aurait pu être un gage contre "l’impérialisme culturel" et contre le retour aux normes à caractère uniforme et passe-partout du "style international" auquel nous échappions il y’a à peine une décennie, mais qui font une percée en Algérie depuis les années 2000. |
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Une sous-culture d’une bougoisie factice - alliée à une mentalité de colonisé-compléxé par l’mage que lui renvoie son propre miroir - multiplie en ce moment même des vitrages refléchissants pour ses constructions, symbolisant parfaitement l’effet des miroirs aux alouèttes.
On ainsi voit déferler ces dernières années sur les grandes villes du Nord de l’Algérie des vitrages-miroirs et des façades en murs rideaux entièrement vitrées et exposées plein Sud et autres placages artificiels en Alucoban. Tous ne peuvent pas avoir les moyens de sociétés internationales pour se payer des bâtiments entièrement vitrés pour un siège à Alger, avec une facture d’électricité démesurée. Mais beaucoup les singent pourtant.
Nous conclurons par cette citation de Julius Nyerere, ancien président de la république de Tanzanie, déclarant en 1977 : « Les habitants refusent maintenant de bâtir leurs maisons en briques et en tuile. Ils veulent pour leurs toits de la tôle ondulée et pour les murs ce qu’ils appellent de la "terre européenne", c'est-à-dire du ciment ! Si à l’avenir nous voulons progresser, nous devrons nous débarrasser de cette obsession qui devient une paralysie mentale.» |
Dr. Bachir AGGUERABI
Ingénieur et Architecte
Alger 11 Fev.2009 |
Des Architectures de Terre où l’Avenir d’une Tradition Millénaire Georges Pompidou / CCI – Paris 1982 – Ouvrage ponctué par une exposition au début des années 1980 à Alger, qui nous avait donné plein d’espoirs à l’époque pour notre pays. |
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